Vetements, la griffe qui divise
Au sein de la sphère mode, il n'est pas rare que la provocation paie plus que le talent. La preuve avec la griffe Vetements qui, en prônant le port du jogging agrémenté de bottes de pêche à l'occasion de son premier défilé "Haute Couture", souleva l'enthousiasme d'une intelligentsia fashion qui n'aime décidément rien mieux que l'improbable...
En choisissant pour leur dernier show de s'associer à 18 marques issues de l'univers de la génération Vetements, les frères Gvasalia s'inscrivent parfaitement dans le parcours stylistique de la griffe. N'aimant rien mieux que de se réapproprier des classiques du dress code urbain, ceux-ci avaient en effet tout intérêt à pousser le concept jusqu'au bout en s'associant directement avec des marques telles que Levi's, Schott, Champion, Canada Goose ou encore Dr. Martens.Oui mais voilà, aussi médiatisé soit-il, le produit de ces mini collaborations n'en demeure pas moins dénué de toute émotion. Faut-il l'expliquer par le casting lugubre, par la réappropriation bancale des bottes de pêche façon Prada ou encore par cette appétence pour l'inesthétique ? Toujours est-il que Vetements peine à provoquer frisson et envie. Entre partis pris underground, style décalé, modèles "margielesques" et désir affiché de connecter avec la génération Z, on avait pourtant cru au lancement de la griffe que Demna Gvasalia et sa clique allaient révolutionner la mode, changer le système, bousculer l'ordre établi. On projeta sur eux le fantasme d'un possible renouveau. Apparemment décidés à emprunter des chemins de traverse, cette poignée de stylistes issus des grandes maisons parisiennes nous fit rêver à un inversement des pôles fashion qui chamboulerait tout.
Or, très vite, Demna Gvasalia décida de mettre les choses au clair : lui et son équipe n'étaient pas des anarchistes, ils ne cherchaient pas à disrupter le système. Ils désiraient simplement faire du vêtement pour du vêtement. Par ailleurs, là où les rédactrices de mode voyaient un manifeste provocateur dans le choix de lieux underground pour les défilés, de mannequins non professionnels ou dans le fait de défiler hors calendrier, lui n'y voyait que des astuces pour éviter de dépenser trop d'argent… Autrement dit, à en croire les intéressés, il ne faudrait pas voir de grands idéaux derrière les manches trop longues du collectif, mais simplement le besoin d'être pragmatique et une envie quasi terre-à-terre d'habiller la jeunesse d'aujourd'hui en lui offrant une alternative à l'offre actuelle qui serait déconnectée de sa réalité. Trop simple pour être sincère ?
Toujours est-il que le succès de la griffe laisse à penser que sous leur allure de trublions discrets, les frères Gvasalia ont parfaitement analysé l'air du temps, en fournissant au fashion system un produit "underground" pensé pour déranger juste ce qu'il faut, tout en répondant à un besoin de mode "anti-establishment". Un produit finalement bien plus formaté qu'il n'y paraît, et qui pourrait expliquer l'absence d'émotion suscitée par le dernier défilé de la griffe...
Par Lise Huret, le 05 juillet 2016
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