Obsession de l'image : du selfie à la chirurgie
"Miroir, miroir en bois d'ébène, dis-moi, dis-moi que je suis la plus belle" s'enquiert anxieusement la méchante reine dans le conte Blanche-Neige. Et le miroir de répondre : "En cherchant à la ronde, dans tout le vaste monde, on ne trouve pas plus belle que toi". Aujourd'hui, si le miroir s'est mué en téléphone portable rendant son verdict sous forme de "likes" et la reine en une génération entière de jeunes gens ultra connectés, le principe consistant à accorder à son image une importance prépondérante et chercher sans cesse à être rassuré quant à sa propre "viabilité esthétique" reste plus que jamais d'actualité...
Une angoisse accentuée ces dernières années par la multiplication des occasions de se voir, de s'observer, de se décortiquer. Autrefois, nous ne croisions en effet notre reflet que quelques fois dans la journée. Aujourd'hui celui-ci est devenu omniprésent : entre selfies, snaps, clichés Instagram et posts Facebook, nous sommes partout. Afin de mieux accepter ce reflet, nous abusons des filtres, des artifices virtuels, des jeux de lumière, à tel point que notre "moi virtuel" peut parfois être sensiblement différent de la réalité... Et si les conséquences de ce phénomène sur le quotidien des adolescentes européennes restent encore relativement limitées, on ne peut pas en dire autant des jeunes Coréennes, qui vivent dans un pays où 50% des moins de 20 ans ont déjà eu recours à la chirurgie esthétique, où le visage en forme de coeur est devenu un must en matière de beauté, où une émission propose des opérations de chirurgie esthétique gratuites, où 70% des chefs d'entreprise reconnaissent que le physique est un critère très important dans le processus de recrutement et où le fait de "pouvoir réaliser un selfie sans Photoshop" arrive dans le top 5 des raisons pour lesquelles on se fait débrider les yeux, affiner le menton ou refaire la mâchoire…
Dès lors, au vu de l'obsession des générations Y et Z pour leur image, on est en droit de se demander si le phénomène coréen est destiné à rester un épiphénomène localisé ou s'il préfigure au contraire notre avenir. À première vue, c'est la première option qui semble la plus probable : la Française étant éprise de naturel et notre culture ne nous poussant pas au perfectionnisme effréné, difficile d'imaginer qu'un jour nos filles iront chez le chirurgien esthétique comme d'autres vont chez la manucure.
Oui mais voilà, si l'on suit cette logique, l'influence culturelle de la pensée confucéenne - qui prône "la nécessité de préserver son corps de toute modification" - aurait normalement dû préserver la société coréenne de cette folie. Or il n'en est rien… Il est donc certainement illusoire de croire que notre culture pourra à elle seule endiguer ce processus narcissique consistant à s'offrir via la chirurgie ce que dame nature nous a si longtemps refusé.
Apparemment inéluctable, ce phénomène soulève de nombreuses questions :
Cette banalisation/démocratisation de la chirurgie esthétique est-elle fondamentalement mauvaise ? Ne pourrait-elle en effet pas être un moyen "d'égaliser les chances" de chacun, de permettre à chaque individu de choisir son physique plutôt que de subir toute sa vie une enveloppe qui peut parfois se révéler encombrante ? Ne permettrait-elle par ailleurs pas de mettre l'accent sur cette fameuse beauté intérieure, une fois que la beauté extérieure sera devenue la norme ?
Dans quelle mesure notre cerveau est-il capable de considérer comme sien un visage autre que celui avec lequel il est "né" ? Cela ne risque-t-il pas de créer des troubles de la personnalité ?
Irions-nous vers une uniformisation des physiques, ou au contraire vers la fin de la notion de beauté unique, chacun pouvant dessiner le visage qu'il souhaite selon ses propres goûts et fantaisies ?
En sommes-nous déjà à l'étape coréenne sans nous en rendre compte ? À voir ici à Toronto le nombre de bouche refaites, de fronts lissés et de nez affinés, j'ai presque tendance à le croire...
Si nous pouvions avoir l'assurance que l'opération sera parfaitement réalisée, succomberions-nous au sur-mesure morphologique, et si oui, ne serait-ce pas plus qu'une question de temps avant que notre enveloppe charnelle ne nous apparaisse totalement obsolète ?
Par Lise Huret, le 27 septembre 2016
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