Quand la "roue fashion" tourne...
Agissant comme une piqûre de rappel, la chute en 2016 du chiffre d'affaires de Prada est le signe que rien n'est immuable au sein du petit monde de la mode et que des créateurs/griffes considérés comme incontournables peuvent rapidement perdre leur bonne étoile. Passage en revue de tous ceux qui ont su faire battre notre pouls, avant de perdre - brusquement ou graduellement - leur adéquation avec l'air du temps...
Les tee-shirts à slogans d'Henry Holland
2006 - Autodidacte anglais à la dégaine fluokids, Henry Holland est bien décidé à se faire une place au sein du paysage londonien. Il imagine pour cela une série de tee-shirts oversize aux slogans dignes d'une groupie fashion, tels que "I'll Tell You Who's Boss, Kate Moss", "Do Me Daily, Christopher Bailey" ou encore "Cause Me Pain, Hedi Slimane". Il les fait notamment porter par son amie Agyness Deyn (qui sera bientôt La mannequin du moment) et attire l'attention de la presse et des "it" girls. Frais, culottés et joyeusement pop, les tee-shirts d'Henry Holland séduisent alors tous azimuts.
2017 - Si Henry Holland n'a pas - contrairement à Agyness Deyn - totalement disparu des radars, il n'est pas parvenu à faire renaître l'euphorie suscitée dix ans plus tôt par ses tee-shirts potaches.
Balenciaga version Ghesquière
2007 - En février, Nicolas Ghesquière présente une collection télescopant énergie urbaine, graphismes folk et détails preppy qui galvanise littéralement les fashionistas. Mêlant jodphur camel, blazer cintré, keffief revisité et sandales Lego imaginées par Pierre Hardy, ses silhouettes deviennent instantanément la sensation de la saison. En quelques semaines, Nicolas Ghesquière devient le chouchou des rédactrices de mode et autres fashionistas, qui attendent désormais ses collections avec impatience. Des collections qui n'auront d'ailleurs rapidement plus grand-chose à voir avec son défilé automne/hiver 2007-2008 et qui, à défaut d'être facilement portables, se révéleront être des trésors d'innovation textile et d'audace stylistique.
2017 - Après cinq saisons passées sous la houlette d'Alexander Wang, c'est désormais au tour de Demna Gvasalia d'imaginer les collections Balenciaga. L'aura infiniment hype du créateur géorgien - Gvasalia est le fondateur de la griffe Vêtements - ressurgit sur la griffe, qui bénéficie du coup d'une forte exposition tant chez les influenceurs qu'au sein de la presse. De son côté, Nicolas Ghesquière officie désormais chez Louis Vuitton.
Les robes de nerd de Luella
2007 - Avec sa collection printemps/été 2008, la créatrice Luella Bartley (ex-rédactrice de mode chez Vogue) rentre dans le cercle très fermé des designers anglais faisant tourner la tête de la fashion sphère. Son nom est alors sur toutes les lèvres. Il faut dire que son vestiaire pour "nerdy girl" où se mêlent influences fifties et énergie punk (voir ici, ici et là) marie avec brio twist créatif et dimension commerciale. Une alchimie qui attire l'attention des acheteurs, grave le nom de Luella dans le coeur des fashionistas et excite les magazines.
2017 - Si "Luella" n'est plus depuis 2010 (les investisseurs ayant décidé de ne plus financer la griffe), la créativité joyeusement "grunge acidulé" de Mrs Bartley continue néanmoins d'infuser la mode. Pendant quatre ans, celle-ci fut ainsi - avec Katie Hillier - à la tête de la griffe Marc by Marc Jacobs. Le binôme lancera ensuite sa propre marque "Hillier Bartley", que Luella Bartley gère aujourd'hui en parallèle de ses nouvelles fonctions au sein de l'équipe de Raf Simons chez Calvin Klein.
Les robes de Christopher Kane
2006 - Jeune diplomé de la Saint Martins School, Christopher Kane - qui peut alors se targuer d'avoir tapé dans l'oeil de Donatella Versace - livre une première collection uniquement composée de robes semblant tout droit sorties de l'esprit d'un Azzedine Alaïa sous LSD (voir ici, ici et là). Les rédactrices tombent immédiatement amoureuses de ce garçon audacieux, dont la muse n'est autre que sa propre soeur. Une histoire d'amour au départ fusionnelle qui se muera au fil des années en amitié platonique, les partis pris esthético-conceptuels du designer n'étant pas toujours appréciés.
2017 - Si Christopher Kane fait incontestablement partie des poids lourds de la fashion week londonienne, il est désormais plus rare de voir ses créations se transformer en must have, comme l'avaient fait en 2009 les pièces de sa série "Gorilla" (voir ici, ici et là).
Les années Decarnin chez Balmain
2006 - Sous la houlette de Christophe Decarnin (un ténébreux styliste alors inconnu du grand public), Balmain s'impose rapidement comme une griffe suavement rock, faussement sulfureuse et totalement incontournable. À coup de strass, de coton destroyed hors de prix, de blazer à épaulettes et de micro robes ultra sexy, Christophe Decarnin imagine une nouvelle silhouette pour fashionista filiforme qui se mue rapidement en Graal trendy (notamment grâce à l'influence du Vogue Paris, dont les pages grouillent de produits Balmain). Son style devient par ailleurs le mètre étalon de la fast fashion, qui n'hésite pas à le copier à outrance. De son côté, la très regardée Emmanuelle Alt (styliste chez Vogue Paris et consultante pour Balmain) fait des blazers de la griffe une des principales composantes de son uniforme. En 2011, la balmainmania s'arrête cependant brutalement suite à un violent burn-out du créateur.
2017 - Sous l'influence de son nouveau directeur artistique Olivier Rousteing, Balmain a une fois de plus mué. Et si les collections du jeune homme se voient régulièrement plébiscitées par la famille Kardashian, leur impact n'a plus grand-chose à voir avec celui des années Decarnin.
2009-2015 : le règne incontesté de Céline
2009 - Pour sa première collection en tant que directrice artistique de la maison Céline, Phoebe Philo livre un vestiaire estival précis et épuré, qui voit le sportswear cher à la griffe française gagner en force. Sous ses doigts, la notion de minimalisme devient alors à nouveau désirable et donne aux femmes des envies de garde-robe powerful à l'élégance cérébrale. Ajoutez à cela des sacs à main trustant saison après saison les premières places du classement des "it" bags ainsi qu'un plébiscite unanime du trio gagnant rédactrice de mode/acheteurs/influenceuses et vous obtiendrez ce que l'on peut appeler aujourd'hui avec un peu de recul "l'ère Céline". Une période qui durera 6 ans et que l'on avait fini par croire éternelle. Pourtant, depuis 2015, l'impact de la griffe sur les tendances va en s'étiolant.
2017 - La roue a tourné et les créations de Phoebe Philo correspondent aujourd'hui moins à l'air du temps, le minimalisme ambiant ayant cédé la place au "baroque Guccien" et au "normcore Vêtements".
Par Lise Huret, le 20 avril 2017
Suivez-nous sur , et