Les dessous (fantasmés) des photos Instagram
À l'origine conçu pour partager avec ses proches des moments pris sur le vif, Instagram s'est mué avec le temps en formidable outil de "self branding". Et si la composition des photos que l'on y trouve est désormais parfois aussi étudiée que celles des séries mode des magazines, elle n'en cherche pas moins à évoquer une certaine facilité/normalité, de manière à créer une illusion de proximité. Il peut dès lors être amusant d'imaginer les coulisses de ces clichés - presque - parfaits…
Après avoir commandé le dessert le plus calorique - et instagramable - possible, minaudé pendant 10 minutes devant l'objectif de son petit ami photographe et ingurgité une goutte de cet étrange milk shake (gâcher c'est pécher), on imagine que Julie Sariñana est repartie en laissant derrière elle sa coupe lactée quasi intacte…Lundi, 7h30. Cela fait une heure qu'il observe son instagrameuse de femme couper, détailler, disposer de la manière la plus raffinée qui soit son assiette de fruits du matin en espérant obtenir un cliché qui déchaînera likes et compliments. Il a faim. Il aimerait déguster son café en discutant des prochaines vacances, mais la framboise mal placée, le kiwi un brin trop mûr et la clémentine pas suffisamment colorée font planer dans la cuisine une tension qui l'incite à fuir vers le Starbucks le plus proche…
On frappe à la porte du nouveau studio new-yorkais de l'Atelier Doré : c'est le plombier, qui aimerait bien récupérer son escabeau oublié la veille. Affairés, les assistants le prient de revenir un peu plus tard, la maîtresse des lieux - venue de L.A. pour l'occasion - ayant jeté son dévolu sur ledit escabeau. Conciliant, l'artisan décide de patienter : après tout, il ne s'agit que de prendre une photo... Trois heures plus tard, après avoir passé son temps à observer la jeune femme prendre son escabeau pour un piédestal, il comprend qu'à l'heure d'Instagram, prendre une photo ne se fait plus tout à fait à la légère... Bali. Dimanche 30 avril, 11h. Une voix quasi hystérique vient perturber le calme olympien qui flottait jusque-là sur les villas de Kupu Kupu Barong : "Tu l'as ? Tu l'as ?!". Il faut dire que réussir à tenir la pose assise sur un matelas gonflable instable situé au centre d'une piscine tout en donnant l'impression d'être au summum de la zénitude est loin d'être une mince affaire. On imagine que la séance s'acheva par un "plouf !" retentissant et que seul le nombre de likes obtenus par ce cliché parvint à sauver la journée de la jeune Alexandra Pereira...
"Souris, ait l'air d'être au comble du bonheur, évite de mouiller ton sac en osier et offre le meilleur angle pour faire apparaître tes jambes à leur avantage" : telles sont certainement les pensées qui se bousculèrent dans la tête de la jolie Sara Escudero après sa 10e prise d'élan sur le sable de la plage paradisiaque de Puerto Morelos...
Se réveiller, enfiler un peignoir moelleux et avoir l'air d'une déesse prête à écrire un post à la volée... Face à ce genre de clichés, on peut soit décider d'y croire, soit tenter de rationaliser. Pour obtenir cette photo, il est en effet fort probable que Mary Seng ait passé une bonne heure dans la salle de bain à parfaire son make up, étudié pendant vingt minutes la disposition idéale des oreillers/couettes/plaids afin que tout ait l'air "joliment naturel" (donc pas naturel du tout) et testé une cinquantaine de positions différentes… On peut également tenter d'imaginer les dialogues derrière certaines photos...
"Arghh, je t'avais dit qu'il y aurait plein de bestioles à cette heure-ci sur la plage !". "Tant pis, prend la photo et on s'en va !" (voir ici).
"J'aimerais apporter une dimension un peu moins lisse à mon fil Instagram... Tu n'aurais pas une idée ?". "Pourquoi ne te prendrais-tu pas en photo assise sur la cuvette des toilettes ?". "Génial ! Merci !" (voir ici).
"Tu fais trop mince là, fais semblant de manger un truc sinon tu vas te faire incendier dans les commentaires.". "Ok, file-moi une assiette de fraises !" (voir ici).
"On l'a déjà vu 15000 fois ce cliché, non ?". "On s'en moque, les gens adorent Santorin..." (voir ici).
"Et si tu essayais de balancer un de tes escarpins au bout de tes orteils ?". "Tu n'y penses pas, ceux-là je les ai vraiment achetés !". "Ah bon, ça t'arrive encore ?" (voir ici).
Par Lise Huret, le 19 juin 2017
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