Chronique #111 : Entre acceptation, communication et compromis
Dimanche 30 septembre, salon du vintage de Toronto. Les hanches moulées dans une robe années 40, je contemple mon reflet dans le miroir de la cabine d'essayage. Si l'allure rétro de cette toilette en soie imprimée de fleurs de ginkgo me plaît, un petit quelque chose que je n'arrive pas à définir m'empêche cependant de m'enthousiasmer...
Je sors, tourne devant Julien et lui demande ce qu'il en pense. Il me répond qu'elle me va bien, mais que quelque chose au niveau du corsage le chiffonne. Le corsage ! Il a raison : légèrement flou, ce dernier alourdit ma silhouette. De retour sur le stand, l'élégante quadragénaire tenant ce dernier me demande comment s'est passé l'essayage. Je lui réponds que la robe est très jolie, mais que la coupe ne me séduit pas à 100% et que mon mari n'est pas vraiment convaincu. En entendant la fin de ma phrase, elle se fige et me jette condescendante : "Ah, vous vous habillez pour votre mari ? Donc si votre mari n'aime pas quelque chose, vous ne le porterez pas ?". Décontenancée, je lui souris gênée et lui rend la robe…
Les jours suivants, la réflexion - aussi déplacée soit-elle - de cette femme tourna en boucle dans ma tête et suscita en moi maintes interrogations. Quelle place a dans ma vie le jugement de Julien ? Celui-ci prime-t-il systématiquement sur le mien ? Avoir envie de plaire à son mari avant de se plaire à soi est-il problématique ? Serais-je bel et bien cette femme soumise qu'a cru voir en moi cette vendeuse ?
Après m'être joyeusement torturée les méninges, mon modus operandi en matière de gestion du jugement de mon mari m'est soudain apparu clairement : au fil de nos 12 années de mariage, j'ai appris à adopter en fonction des situations l'attitude qui me semble la plus efficace (pas forcément la plus féministe, mais celle qui fonctionne pour nous).
Je classe ces dernières en trois catégories :
Les causes perdues
Certains artifices liés au physique - tel que le rouge à lèvres ou le vernis à ongles sur les pieds - font réellement horreur à Julien. Son aversion est limite épidermique… J'ai donc renoncé à laquer mes orteils de verni translucide et cela ne me pose aucun problème.
J'ai longtemps essayé de forcer Julien à entretenir des relations épistolaires avec sa famille et ses amis, mais en vain : il ne fonctionne pas ainsi. J'ai beau penser qu'il a tort, je n'essaie plus de faire évoluer son attitude sur le sujet.
Si j'aime parfois jouer avec l'idée d'un second enfant, Julien la rejette quant à lui catégoriquement. Ayant bien plus les pieds sur terre que moi, son jugement dans ce cas précis prime clairement sur le mien, et c'est tant mieux.
A peu près une fois tous les deux ans, l'envie de me couper les cheveux très très courts me saisit. Or, Julien est contre à 200%. Étant donné que c'est lui (et non moi) qui sera confronté 24/7 à ma petite tête hirsute de garçon manqué, je le laisse l'emporter sur ce sujet.
Les choses à tenter
Si dans une boutique, je tombe amoureuse d'un vêtement risquant a priori de ne pas remporter l'adhésion de Julien, je n'hésite plus à l'acheter. J'ai en effet compris que les choses qui lui semblent dans un premier temps rédhibitoires finissent souvent par lui plaire une fois que je me les suis appropriées.
Julien croit détester les légumes. Si je l'écoutais, on ne mangerait que des croque-monsieurs. Je n'hésite donc pas régulièrement à faire fi de ses envies régressives et tente moult recettes végétariennes. Bien cuisinées, ces dernières lui font remettre en question ses certitudes culinaires.
À chaque fois que je tente de l'emmener dans une boutique de vêtements, il me rétorque qu'il n'a besoin de rien. Ce sublime pull camel ? Non. Ce caban qui serait idéal pour mettre en valeur sa carrure ? Non. Tant pis, je connais sa taille, alors quand l'envie me prend, je lui achète ce que je veux...
Plutôt casanier, il prend rarement des initiatives en matière d'invitation. Du coup, lorsqu'il s'agit de voir nos amis, je suis généralement seul maître à bord et décide de tout.
Au milieu d'une journée de travail, à la sortie d'école de Charles ou en fin de soirée, j'aime casser la routine en proposant une balade, un pique-nique ou encore une virée à la salle d'escalade. Julien abandonne alors - le plus souvent avec le sourire - son emploi du temps ultra strict pour prendre part à l'échappée.
Les graines à semer
Quand l'enjeu est important, entrer en conflit s'avère souvent stérile. J'ai ainsi appris au fil du temps que lorsque quelque chose me tient à coeur, il est bien plus pertinent d'en discuter sur un ton apaisé et léger plutôt que de convoquer le conseil de guerre...
J'ai toujours rêvé d'une vie en bord de mer. Au début de notre mariage, je n'hésitai ainsi pas à jeter cette envie au milieu de nos disputes en en faisant un prérequis à mon bonheur. Depuis, je me suis apaisée et j'ai relativisé, mais Julien a intégré cette donnée. Il me le prouve à chaque fois que nous fantasmons sur nos futures destinations d'expatriés... elles bordent toutes l'océan !
Plutôt que d'interrompre brutalement une répétition de piano où j'estimais Julien trop sévère envers Charles, j'ai préféré attendre que notre fils soit couché pour demander à son père comment il avait vécu ledit cours. Il me répondit que Charles avait eu beaucoup de mal à se concentrer et que cela l'avait exaspéré. Je lui demandai alors comment se passaient ses cours de musique à lui lorsqu'il était enfant… Bref, le problème se désamorça rapidement et la réflexion se poursuivit les jours suivants dans le cerveau de mon cher et tendre époux.
Cet été, j'ai testé pour la première fois le principe de la via ferrata. En rentrant de mon premier parcours, j'étais comme transfigurée par le bonheur que cette escapade à flanc de falaise m'avait procuré. Le soir, encore grisée par mon aventure, je décrivis à Julien cette sensation de liberté intense, cette concentration galvanisante, ce sentiment de déconnexion du monde. Une fois de retour à Toronto, je découvris dans ma boîte mail une réservation pour une initiation à l'escalade... Femme soumise, femme libérée, épouse docile, épouse fantasque… je suis un jour l'une, un jour l'autre, et parfois toutes à la fois. Et tant pis si cela est politiquement incorrect. Les mécaniques du couple tiennent de l'horlogerie : tout y est fragile. Dès lors, quand on a trouvé un mode de fonctionnement ne générant de frustration ni pour l'un ni pour l'autre, je pense qu'il faut le chérir et savoir faire fi de l'avis des autres...
Par Lise Huret, le 08 novembre 2018
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C'est tellement bien dit et analysé!
8 ans de mariage et des compromis entre ce qu'il est et ce que je suis, chaque jour qui passe...Et cela ne regarde que nous!