Chronique #142 : Bonheur, paix intérieure, bien-être et marketing
Jeudi, 15h30. Appuyée contre la barrière faisant face à l'école de Charles, j'attends que ce dernier fasse son apparition. Il tarde. Je fais machinalement défiler mon fil Instagram. Je vois sans voir : les images se ressemblent tant... Après une quarantaine de posts, je tombe sur ces 4 phrases postées par Miroslava Duma : "Happiness is the new rich. Inner peace is the new success. Health is the new wealth. Kindness is the new cool". À leur lecture, je sens l'agacement m'envahir, mais je n'ai pas le temps de m'y attarder : un enfant de 6 ans en uniforme gris vient de se jeter dans mes bras.
Sur le chemin du retour, nous passons chez Indigo. En entrant dans cette immense librairie aussi formatée qu'un muffin de chez Starbucks, nous découvrons trônant au milieu des best-sellers du moment un autel dédié au yoga et à la médiation. Entre plaids aux couleurs passées, matières éco-friendly, kits de méditation et diffuseurs de parfum à l'ergonomie maternelle, tout est censé aider à trouver la sérénité. Il suffit simplement de passer à la caisse. En ce début 2020, la quête du bonheur est devenue plus trendy qu'une paire de baskets Off White. Un état de fait qui semble positif sur le papier, mais qui ne me rend pas moins mal à l'aise.
Car contrairement à la paix intérieure que l'on chercherait dans le fond d'une église, lors d'une longue promenade en solitaire ou sur une natte défraîchie accompagnée d'un vieux bouquin de yoga, celle que l'on nous propose aujourd'hui d'acquérir a un coût. Un coût que nos sociétés occidentales plus que jamais en manque de repères sont apparemment plus qu'heureuses de payer.
Qui en effet ne serait pas prêt à dépenser 50 euros dans un tapis de yoga bio susceptible de nous offrir le bonheur que notre mariage ne parvient pas à nous apporter, 200 euros dans des compléments alimentaires censés injecter de la joie directement dans nos cellules ou encore 3000 euros dans une escapade nous promettant de découvrir les secrets du BNB bhoutanais ?
Nous sommes décidément bien faibles face à la promesse de bonheur et de bien-être, et cela les pythies du marketing l'ont bien compris. Oui mais voilà, en tentant de monétiser l'impalpable, ces dernières ont fini par vider de leur substance les valeurs - bonheur, authenticité, bien-être… - qu'elles ont érigé en nouvelle religion.
Cela me sauta récemment aux yeux lorsque, après avoir entendu une amie me dire que nous vivions les nouvelles seventies, je fus amenée à repenser au quotidien de mes parents pendant les années 70.
Ils avaient alors 3 enfants, vivaient en Lozère et buvaient une décoction d'argile tous les matins. Kinésithérapeute, mon père élevait des abeilles et pratiquait la poterie. De son côté, ma mère prof d'histoire-géo confectionnait elle-même son pain, cousait les robes de mes soeurs, se tressait les cheveux en couronne et prenait discrètement soin des vieilles personnes les plus isolées du village. La vie de la famille était rythmée par les longues promenades dans la montagne, les piques-niques entre amis près de la rivière, la récolte des champignons, les messes courtes célébrées par un ami prêtre et les veillées autour de la guitare paternelle. Bref, ils vivaient heureux, étaient en bonne santé et prenaient soin d'eux et des autres.
Aujourd'hui, la même famille serait tentée de monétiser sa "way of life" en élaborant une retraite ressourçante au coeur des Cévennes, posterait sur les réseaux sociaux les sublimes photographies des poteries réalisées "avec amour" par le père, enverrait à toutes les influenceuses sa potion magique à base d'argile verte et aurait un compte Instagram où chaque ballade en famille (devant donner envie de s'offrir la retraite précédemment citée) serait hashtaguée à tout-va et où chaque virée altruiste se verrait doctement documentée.
La différence entre les seventies et les néo-seventies ? L'innocence, la spontanéité, la - réelle - simplicité et le désintéressement.
Pour ma part, je pense que la paix intérieure ne se trouve pas au rayon fruits secs de chez Naturalia, que le port d'un bracelet en labradorite grise à 50 euros ne nous permettra pas de mieux comprendre l'univers (contrairement à une discussion avec un vieux monsieur croisé dans un ascenseur), que la gentillesse n'a pas besoin de slogans, que l'overdose de yoga n'a pas que des vertus, que l'acquisition d'un kit de méditation est aussi utile qu'une paire de chaussettes à orteils et qu'une retraite hors de prix au coeur d'un ashram hautement instragramable n'est pas une condition sine qua non au bonheur...
Par Lise Huret, le 17 janvier 2020
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