Chronique #158 : L'appel du surf, entre peur et nécessité
Aussi massive qu'inexorable, la vague me balaie et me projette sous l'eau. Ayant anticipé le choc (et ses conséquences), mes poumons sont pleins et mes mains en position de protection au niveau du cou. Je n'avais par contre pas prévu la seconde vague, puis la troisième qui s'abattent sur moi alors que je tente de remonter à la surface. Seule à 50 mètres du bord, le surf maintenu en laisse par la leash mais mis hors de portée par la violence de la houle, je me sens curieusement calme. C'est donc ainsi que l'on se noie ?
J'attends la 4e vague qui me coupera définitivement la respiration. Elle ne vient pas. Je rejoins donc ma planche, m'y hisse et rame vigoureusement vers le rivage en me promettant intérieurement : "Si tu réussis à atteindre la plage, tu arrêtes définitivement le surf". J'aperçois alors au loin mon moniteur m'indiquer à grand renfort de gestes qu'une bonne vague arrive et qu'il faut donc que je pagaie au maximum pour la prendre. J'obtempère. Quelques secondes plus tard, je suis soulevée par l'arrière, atteint le sommet de la vague, sens le nose s'incliner vers le bas et saute sur ma planche. Les genoux fléchis, les épaules tournées vers la plage, le corps légèrement en avant, j'effleure à peine les flots. La liberté que je ressens à cet instant me fait atteindre un tel niveau de jouissance que j'en oublie les événements ayant précédé ce take-off.
Le surf n'était a priori pas un sport fait pour moi (l'océan me fait peur et la noyade fait partie - avec les tsunamis- du top 3 de mes pires angoisses). Pourtant, il m'obsède. Entre les surfeurs bretons observés sur les vagues de Crozon et les visionnages répétés de Point Break et de Step into Liquid, cette discipline m'hypnotise, m'attire et... m'intimide depuis toujours.
À l'instar de ces moments où enfant je devais vaincre ma peur en traversant dans la nuit le bois situé derrière notre maison lozérienne, je ressens pour le surf une appréhension intense mixée au besoin viscéral de m'y confronter.
31 juillet 2012, baie de San Francisco (premier cours de surf). Après quelques essais, je me lève relativement facilement. Les vagues sont petites et l'instructeur maintient ma planche jusqu'à ce que ces dernières me poussent gentiment. Facile… Je repars de cette expérience enchantée et rassurée.
Quelques mois plus tard, me voici sur les plages de Biarritz. Le cours est très encadré, j'ai très peu d'autonomie. Je ne prends que des mousses et je suis aidée par le moniteur. Mais les sensations sont là et s'imprègnent dans mon corps aussi sûrement qu'une drogue que je soupçonne de ne pas être douce.
Juin 2014. Un an s'est écoulé depuis ma dernière mise à l'eau. Je suis en Bretagne, accompagnée de mes nièces férues de surf/windsurf/kitesurf. Elles me prêtent une de leurs planches et nous voilà bientôt en train de pagayer vers le large. Ma planche est plus petite et plus affûtée que celles que j'avais utilisées précédemment. Je tombe beaucoup. À la fin de la séance, une vague plus grosse que les autres m'entraîne sous la surface de l'eau. J'ai l'impression de percuter un mur de plein fouet. Je sors de l'eau sonnée : ma planche - avec laquelle je suis entrée en collision - a fait exploser le haut de ma lèvre supérieure.
Marquant mon visage sans pour autant le défigurer, cette cicatrice n'a dès lors eu de cesse de me rappeler que j'avais un compte à régler avec l'océan. Je voulais vivre près de ce dernier, le maîtriser, prendre le pouvoir. Le seul critère que j'imposais à Julien quant au choix de notre future destination d'expatriation fut ainsi que cette dernière soit située à moins de 20 minutes de l'océan…
Aujourd'hui, nous habitons à 13 minutes de notre spot de surf. Ais-je depuis pris ma revanche ? Non, mais ce n'est plus pour moi la question. Car chaque matin, lorsque l'humilité s'impose face à ces vagues qui ne sont jamais les mêmes, lorsque mon corps prend le pas sur mon esprit, lorsque je sens chaque fibre de mes muscles se mobiliser, je sais que je suis à ma place. La peur n'est plus un corset bridant mes mouvements, mais une compagne avec qui j'ai appris à négocier. Elle est là, mais elle n'est plus seule. Lorsque je pense à ma prochaine session de surf, le souvenir des sensations quasi mystiques accompagnant certaines prises de vagues vient en effet amoindrir son intensité.
Alors certes, je ne maîtriserai jamais l'océan, mais au fond de moi je nourris l'espoir de réussir à le dompter un jour pendant quelques secondes…
Par Lise Huret, le 22 juillet 2020
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