Quand la notion de "plus size" vole en éclat
Étant de la génération "Kate Moss", je n'imaginais pas voir un jour l'IMC des mannequins dépasser la barre des 17. Trois décennies plus tard, l'hégémonie du canon de beauté format "brindille" est pourtant bel et bien en train de laisser la place à une mosaïque de physiques célébrant la femme dans sa pluralité…
Si le concept de "body positive" fait depuis quelques années bouger les lignes outre-Atlantique (permettant ainsi à la notion de "perfection physique" de se décrisper), la présence sur les podiums de mannequins dépassant la taille 38 restait jusqu'à récemment un épiphénomène marketing. En effet, si les marques aiment afficher un discours "inclusif", dans les faits les castings demeuraient bien souvent "99% brindille / 1% curvy", laissant la consommatrice/spectatrice sur sa faim.Oui mais voilà, aussi imparfaites soient ces démarches (qui visent davantage à flatter le nouveau politiquement correct qu'à faire évoluer les choses en profondeur), force est de constater que mises bout à bout, elles ont fini par provoquer une lame de fond, forçant les géants de l'habillement à réinventer leur façon de représenter la femme au sein de leurs e-shops/lookbooks.
Encouragée aussi bien par la montée en puissance de comptes Instagram d'individus dont l'unicité prime sur la beauté standard que par l'accueil enthousiaste reçu par les griffes indépendantes proposant des panels de tailles de plus en plus élargis, la fast fashion a en effet décidé d'arrêter de faire la sourde oreille.
C'est ainsi que la section "plus size" (Violeta) de chez Mango a récemment fusionné avec la ligne prêt-à-porter de l'enseigne, faisant disparaître l'idée de "catégories" de femmes. Chez Zara, les dernières nouveautés sont désormais présentées aussi bien sur une longue liane d'un 1 mètre 80 que sur une jeune femme ronde.
Alors certes, des marques telles que Universal Standard et Savage x Fenty ont depuis longtemps intégré le concept du "size inclusive", mais leur impact n'est aucunement comparable avec celui d'une enseigne mainstream dont les visuels vus et revus par des millions de consommateurs formatent considérablement l'oeil de ces derniers. Et si j'ai d'ordinaire tendance à penser que la démocratisation d'une mode tend à la galvauder, force est ici de constater que les mécaniques de la fast fashion (repérage d'une tendance incontournable / appropriation / déclinaison / diffusion) ont permis de faire avancer les choses dans le bon sens.
En embrassant le concept de "size inclusive" (à savoir présenter leurs modèles sur toutes sortes de morphologies), les enseignes placent en effet l'individu au centre plutôt que le vêtement. Après avoir longtemps été un carcan incitant les femmes à s'affamer pour s'y glisser, ce dernier devient alors un objet docile n'ayant pour raison d'être que de vêtir la Femme dans toute sa diversité.
Au fil des pages des e-shops où posent celles qui, il y a encore peu, n'avaient droit de cité qu'au sein du ELLE "spécial rondes" (elles y posaient d'ailleurs généralement aux 3/4 dénudées, les stylistes n'étant pas habitués à habiller des femmes dépassant le 38), l'oeil se rééduque. Il se familiarise avec une manière différente de remplir un volume, avec des corps qui occupent l'espace. Et petit à petit, pas à pas, il modifie ses critères esthétiques, élargit son horizon et patine ses jugements. Et finis par abandonner sans regret sa rigidité élitiste héritée de ces 20 dernières années de promotion de la minceur extrême (Daria, Freja, Anja…) au profit d'une douceur joyeuse bien plus enthousiasmante.
Espérons que les Sandro, Isabel Marant, Maje et autres griffes encore fermement attachées au stéréotype de la mannequin filiforme finiront par comprendre qu'un changement de paradigme esthétique n'abîmerait pas leur image, bien au contraire...
Par Lise Huret, le 23 août 2021
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