Chronique #183 : Pensées à la veille de mes 40 ans
J'aurai 40 ans le 31 juillet. Je ne pensais pas que cela m'impacterait. Une année de plus, une année de moins… Au vu de l'intensité des pensées qui m'assaillent depuis quelques semaines, force est néanmoins de constater que ce cap n'est pour moi pas anodin. Florilège de mes récentes interrogations, constatations et autres discussions intérieures liées à l'arrivée imminente de mon anniversaire…
"Sérieux, déjà 40 ans ? Donc en fait, il n'y pas de transition ? Hier encore j'étais une adolescente qui projetait de faire le tour du monde en tant que mousse sur un voilier et aujourd'hui mes genoux grincent. Il n'y a pas eu d'entre-deux ! Pas de période de plénitude, de calme, pas de plateau qui m'aurait permis de savourer. Pas d'impression d'être enfin à l'équilibre. Le mythe de Sisyphe n'en est finalement pas un… sauf que dans la vie, une fois en haut, on dégringole et on ne remonte pas"."C'est foutu pour le deuxième enfant. Me sevrer du lithium prendrait au moins un an, mettre ensuite un bébé en route demanderait certainement plusieurs mois, voire plusieurs années. C'est trop tard. Le premier "trop tard" d'une liste qui n'aura de cesse de s'allonger avec le temps. Pas de nouveau bébé… tout le monde pense que je suis en paix avec cela. Au fond de moi, j'ai pourtant toujours gardé l'espoir qu'un jour je serai à nouveau enceinte. La peine viscérale causée par ce manque n'a pas fini de me vriller les entrailles".
"Si j'en crois les photos de personnes âgées que je scrute afin de me familiariser avec l'inévitable, ma peau va progressivement se transformer en latex distendu".
"Tu as intérêt à ne pas lâcher la poterie et à prendre les choses au sérieux. Car si à 30 ans tu pouvais encore te la jouer dilettante, à 40 ans il faut arrêter d'agir comme une enfant gâtée : soit tu te donnes à fond, soit tu arrêtes de dilapider ton argent dans une "activité manuelle". Si cette dernière n'est pas susceptible de se transformer en pratique artisanale potentiellement artistique, mets-toi au jardinage".
"Arrête de rechigner à t'offrir de temps à autre une pièce intemporelle de qualité. Tu ne peux plus te dire "Quand je serai grande/quand j'aurai plus d'argent/quand j'aurai le temps d'y penser, je m'achèterai les basiques de ma garde-robe idéale". Tu y es. Si tu ne le fais pas maintenant, tu finiras à 80 ans en tee-shirt H&M".
"Écris, mais écris plus, bon sang ! Ces souvenirs qui s'étiolent vont finir par disparaître si tu ne les captures pas dans tes carnets. Tu vois bien le plaisir que Charles a lorsque tu lui relis les pages de ton journal qui le concernent. Alors écris. Mets en place un rituel afin de ne plus rester des mois sans te saisir de ton stylo à bille".
"Lors de ta méditation du matin, continue à visualiser celle que tu seras dans 30 ans. Familiarise-toi avec elle. Fais la paix avec elle. Porte un regard aimant sur ses faiblesses, mais aussi perçoit sa force, l'intensité de son aura".
"Ne fais pas comme s'il ne s'était rien passé ces 40 dernières années. Pour une fois, essaie de porter un regard juste sur ce que tu as accompli. Tu as survécu à l'adolescence, tu as créé une bulle digitale qui perdure dans le temps, tu as fait naître des sourires chez des dizaines d'inconnus en leur souriant en premier, tu as réussi à t'adapter à la vie dans différents pays étrangers, tu surfes (non mais sérieux Lise... tu surfes !)".
"40 ans… cela ne peut pas être pire que la bipolarité et l'anorexie… non ? Tu ne vas tout de même pas te laisser détruire psychologiquement parce que tu continues de grandir. Il ne tient qu'à toi de considérer cela comme une évolution et non comme une dégradation. C'est le moment de commencer à être honnête avec toi-même. Qu'est-ce qui à tes yeux fait la différence chez un être humain : la perfection physique ou la lumière qui émane de lui ? La lumière, encore et toujours. Et cette lumière tu n'auras pas assez des 40 prochaines années pour l'amener à son plein potentiel. Tu sais par ailleurs fort bien que l'évolution de cette flamme intérieure n'est pas indexée sur la courbe - descendante - du taux de collagène présent dans ton épiderme. Alors arrête de te morfondre, de passer la nuit à scruter les sites de chirurgie esthétique et va méditer".
"Allez, respire ! Le soleil se lèvera toujours demain. Peut-être même qu'il sera encore plus brillant qu'aujourd'hui. Peut-être que l'océan sera encore plus intense, que le souffle du vent fera chanter les arbres différemment, que l'écume dessinera de nouveaux paysages en 3D sur le sable… Et tu vas te plaindre d'être à l'aube de toutes ces découvertes ? Non mais franchement !".
"Est-ce la peur d'aller inexorablement vers la mort qui te fragilise ? Non, la mort ne me fait pas peur : je crois profondément que Dieu m'accueillera près de lui. Eh bien, si tu n'as pas peur de la mort, alors rien ne peut obscurcir tes journées. Tout est aventures, expériences, rencontres...".
"Tu n'as toujours pas réussi à finir un livre de Nietzsche… C'est vrai. Et en toute sincérité, je m'en moque. Cette ribambelle de choses que je pensais nécessaires pour rentrer dans les bonnes cases, pour plaire au plus grand nombre et pour respecter les convenances a de moins en moins d'importance à mes yeux. Une prise de liberté assurément liée aux années qui s'accumulent. Après avoir tant fait de compromis (et cela toujours à mes dépens), je n'ai plus envie de me forcer, plus envie de faire semblant, plus envie de me retrouver dans des situations engloutissant mon énergie de manière stérile, plus envie de taire ce que je pense pour passer sous le radar, plus envie de faire comme si mon bien-être n'était pas une priorité. Non mais Lise, si tu continues comme ça, à 50 ans tu vivras seule avec une chèvre sur le flanc d'une montagne lozérienne ! Eh bien le concept ne me déplaît pas tant que cela…".
"Réfléchis deux minutes : es-tu plus heureuse à 39 ans et 364 jours qu'à 20 ans ? Te sens-tu plus jolie qu'à 20 ans ? Plus accomplie ? Plus forte ? Plus vivante ? Plus amoureuse ? Plus créative ? La réponse est oui, incontestablement. Alors de quoi as-tu peur ? Tu as entrepris de gravir un chemin qui t'emmène graduellement vers toujours plus de densité, de saveur, de vie. Ce n'est pas l'inverse. Et tu le sais très bien au fond de toi".
"Est-ce que Julien aura pensé à quelque chose de spécial pour le 31 ? À vrai dire, je m'en moque. Vraiment, je m'en moque. Tout ce que je souhaite c'est aller demain matin à la messe dans la petite église médiévale perdue dans la forêt de Sintra, manger un sorbet à la framboise et aller nager dans l'océan.
Un colis Amazon est arrivé il y a quelques jours. Il ne m'a quand même pas commandé un truc sur Amazon ? Rien de ce que je pourrais potentiellement désirer ne se trouve sur Amazon. Messe/sorbet à la framboise/baignade : focalise-toi là-dessus et tu ne seras pas déçue. Non mais Amazon, sérieusement ?!".
Par Lise Huret, le 30 juillet 2022
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