En matière de provocation, Steven Meisel est loin d'en être à son coup d'essai : photographe attitré de Vogue Italie, l'homme aime à se servir des pages de Condé Nast pour mettre en scène des séries dérangeantes, flirtant avec une réalité qui ne l'est pas moins. On lui doit notamment des clichés évoquant avec ironie la psychose générée par l'épidémie de grippe A, mais aussi la pauvreté extrême ou les excès de la chirurgie esthétique.
Ces séries sont alors perçues comme plus ou moins scandaleuses, selon qu'elles franchissent ou non les frontières du moralement correct. L'opus grippe A fut ainsi plutôt bien accueilli, tandis que celui grimant la misère souleva l'indignation...
De son côté, Water&Oil suscite l'interrogation. Il faut dire que comme souvent avec Meisel, les photos - sublimant à la perfection un sujet n'ayant aucune connexion avec la mode - laissent au lecteur une curieuse sensation de mauvais mix des genres...
Vêtue de créations en provenance directe de l'avenue Montaigne et engluée dans un semblant d'hydrocarbures, Kristen McMenamy subit ici le même sort que ces innombrables oiseaux et poissons mazoutés sur les cotes de Louisiane.
Or, s'ils s'avèrent magnifiques de réalisme, les clichés nous font néanmoins basculer dans une dimension parallèle, où les événements dramatiques se verraient retirer leur dimension insoutenable au profit d'une esthétisation gratuite. Servant de fil conducteur à 24 pages de photos, la catastrophe devient alors un sujet comme un autre, dont la nature permet à Meisel de concevoir des images ultra fortes.
En outre, si l'on peut un instant envisager cette série comme la contribution de Steven Meisel à l'éveil des consciences, le seul fait de ruiner des toilettes hors de prix pour les besoins d'un shooting suffit à écarter cette supposition. Cette démarche ne cadre en effet pas vraiment avec l'idée que l'on peut se faire d'un manifeste...
Au final, on en revient toujours à la même problématique : est-ce que sous prétexte de traiter avec un photographe star, un magazine de mode peut lui laisser s'approprier les sujets les plus sensibles, au risque de se retrouver devant des photos qui auraient bien plus leur place au sein d'une foire d'art contemporain ? La question reste ouverte...
Par Lise Huret, le 06 août 2010
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