Chronique #101 : Féminité et perception de soi
Mardi 13 janvier, 19h. Après une longue promenade sur Queen Street, nous décidons d'aller dîner dans un restaurant du quartier. À peine arrivée, je file aux toilettes me laver les mains sans prendre le temps de me défaire de ma panoplie hivernale (bonnet + parka masculine). Alors que mes doigts frigorifiés savourent le filet d'eau chaude s'échappant du robinet en cuivre, une jeune femme très apprêtée pousse la porte, effectue un mouvement de recul en me voyant, puis finit par entrer prestement après avoir vérifié préalablement que le pictogramme à l'entrée portait bien une jupe. Cela faisait longtemps que l'on ne m'avait plus prise pour un garçon…
24 années se sont en effet écoulées depuis le jour où une surveillante m'a demandé de sortir des toilettes des filles, pensant que j'étais du sexe opposé. Or, si à l'époque cette petite mésaventure m'avait beaucoup amusée, le sentiment que je ressentis mardi soir face au regard interrogateur de l'inconnue des toilettes fut cette fois-ci un brin plus complexe. Au point de m'amener tout au long de la soirée - et bien au-delà - à m'interroger sur le concept même de féminité.Moi qui me maquille à peine, qui ne suis pas adepte des talons hauts, qui m'habille de manière plutôt androgyne et qui ne me fais pas les ongles, suis-je pour autant moins féminine que la plupart des femmes ? Aux yeux du plus grand nombre, peut-être, mais pour ma part je ne l'ai jamais ressenti ainsi.
Pour moi, la féminité ne passe pas forcément par des artifices extérieurs. Cette certitude inconsciente vient sûrement de mon enfance lorsque, en dépit d'être un vrai garçon manqué, les mères de mes amies attribuaient ma façon de me mouvoir à des cours de danse classique (que je n'ai jamais pris), lorsque ma mère me murmurait que j'étais très gracieuse (bien que je passais mon temps dans les arbres), lorsque mon père me complimentait sur le son de ma voix (un compliment de taille sachant qu'il était tombé amoureux de la voix de ma mère avant de la rencontrer physiquement) ou lorsque mon professeur de solfège clamait haut et fort que je possédais des mains de pianiste.
Autant de petites choses qui m'ont peu à peu ouvert les portes d'une féminité immatérielle, moins liée à un tube de rouge à lèvres qu'à une gestuelle, un port de tête ou une densité fragile. Une féminité qui fait d'ailleurs écho à celle de ces actrices qui, plus jeune, me donnaient envie d'être femme, à l'instar de Meryl Streep dans "Sur la route de Madison", de Jane Birkin, de Kristin Scott Thomas dans le désert du "Patient Anglais" ou encore de Sigourney Weaver dans "Gorille dans la brume"...
Alors certes, cette féminité est moins fracassante que celle de la plupart des femmes que je croise dans la rue ou que j'aperçois dans les magazines, mais c'est clairement celle qui m'émeut le plus et dans laquelle je me retrouve fondamentalement. Et le redécouvrir me fait un bien fou. En me poussant dans mes retranchements, le regard de cette jeune femme m'aura finalement amenée à statuer sur des choses que j'avais trop longtemps laissées en suspens...
Par Lise Huret, le 20 février 2018
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