Chronique #126 : Transmission, art et complicité
Dénicher le tableau désiré en bonne définition, sélectionner quelques oeuvres du même artiste, laisser mon ordinateur ouvert sur ledit tableau et attendre que la magie opère… voilà comment je me suis récemment retrouvée à parler impressionnisme, garde-robe 19ème et symbolique des couleurs avec mon garçon de presque 6 ans...
Vincent Van Gogh
Tout ce qui se trouve sur mon poste de travail ayant pour lui une saveur d'interdit, Charles est toujours très curieux de ce qu'il peut y entrevoir. C'est donc sans surprise qu'il se laissa happer par la Nuit étoilée de Vincent Van Gogh…
En voyant sa mine intriguée, je lui propose d'aller "exceptionnellement" sur mon lit avec l'ordinateur afin d'examiner cette image de plus près. Nous y plongeons graduellement via plusieurs questions :
- "Ce tableau ressemble-t-il à la réalité ?"
- "Non maman, on dirait un rêve"
- "Comment le peintre se sentait-il à ton avis lorsqu'il l'a peint ?"
- "Il devait être triste"
Je lui explique que le peintre a choisi de privilégier l'expression de ses émotions sur la représentation exacte de ce qu'il voit. Charles me répond qu'il comprend très bien, car lui lorsqu'il est malheureux il n'utilise que du noir et du gris dans ses dessins.
Succède à ce paysage de Provence un autoportrait de celui que Charles a rebaptisé "Van Dog".
- "Maman, celui qui a peint ce visage c'est le même que celui qui a peint le ciel qui fait des vagues : il fait les mêmes petits traits"
Nous enchaînons alors les toiles en essayant d'imaginer l'humeur de l'artiste lors de leur exécution. Au bout d'un moment, l'imagination espiègle de Charles se met à prendre le dessus :
- "Sur celle là je pense qu'il avait dû boire la même potion que dans Les Visiteurs, tu sais celle qui te rend tout bizarre !"
- "Ok, c'est l'heure du bain !"
Edward Hopper
Quelques jours plus tard, nous nous invitons au sein de l'univers d'Edward Hopper. Face à l'huile "House by the Railroad", Charles ressent instantanément une sensation de peur. Je lui demande d'essayer de m'expliquer ce qui la provoque en lui.
- "Cette maison… il n'y a personne aux fenêtres, il n'y a pas d'arbres. Si je ferme les yeux, je l'imagine pleine de fantômes"
- "Que penses-tu de la façon dont elle est construite ?"
- "J'aime bien les petites colonnes devant et la forme du toit"
- "Cela s'appelle le style Victorien"
- "Ah… mais je n'aime pas ce tableau maman, vraiment pas"
- "Tu vois mon grand, c'est intéressant parce que bien que ce ne soit qu'une maison, l'artiste parvient - grâce aux couleurs utilisées et à la composition du tableau - à t'emmener au delà de la réalité, à te provoquer des sensations très fortes…"
- "Euh..."
J'essaie de faire remonter Hopper dans son estime en lui montrant Nighthawks, puis Compartiment C. Il remarque que la scène du premier ne se déroule pas à notre époque (chapeau de l'homme, tenue du serveur, manière dont on est écrit le nom du bar) et se révèle fort intrigué par la lumière qui sort de la vitre et qui se projette sur le sol. Le second quant à lui le fait s'interroger sur la différence de raffinement entre les trains d'hier et ceux d'aujourd'hui. J'attire son attention sur la passagère et lui demande si à son avis elle est heureuse, fatiguée ou triste. Il me répond sans hésiter qu'elle est triste.
- "Pourquoi penses-tu cela ?"
- "Parce qu'elle est toute seule !"
- "Chéri, on est pas forcément triste lorsque l'on est seul. Regarde, elle a un léger sourire. Moi je pense qu'elle savoure l'instant. Elle est tranquille, elle peut lire dans le calme. Tu sais, cela peut être très agréable d'être seul…"
Berthe Morisot
Berthe Morisot est la première femme faisant incursion dans notre voyage pictural. La silhouette réglisse immortalisée de côté dans "Femme et enfant sur le balcon" suscite immédiatement la curiosité de Charles.
- "Alors là je sais, cette dame n'est pas de notre époque !"
- "Pourquoi ?"
- "Les femmes ne s'habillent plus comme cela. Heureusement, parce que sinon je tomberais amoureux de toutes les dames !"
- "La façon dont elle est habillée te plaît ?"
- "Oui, beaucoup plus que les pantalons en tout cas... Pourquoi elle a un parapluie alors qu'il fait beau ?"
- "C'est une ombrelle. Avant les femmes cherchaient à se protéger constamment du soleil afin que leur peau reste la plus blanche possible : plus tu avais la peau pâle, plus c'était chic"
Nous admirons d'autres de ses oeuvres (voir ici, ici, ici, ici et là). Charles se demande si elle peint beaucoup de femmes parce qu'elle est elle-même une femme. Et conclut le regard pétillant de malice "J'aime beaucoup Berthe Vomisso !".
PS : Je suis impatiente d'avoir son avis sur Toulouse-Lautrec, James Whistler, John Singer Sargent, Camille Claudel et Johannes Vermeer...
Par Lise Huret, le 28 juin 2019
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